IRCAM - Salle Igor Stravinsky
1, place Igor Stravinsky, 75004 Paris
Avec le soutien de la Fondation Calouste Gulbenkian et du CNRS
Iannis Xenakis est sans aucun doute un des principaux compositeurs ayant allié de façon concrète des concepts issus des mathématiques au travail de composition. Loin d’être le seul à avoir choisi une telle voie dans les années cinquante et soixante il sera cependant parvenu, plus que bien d’autres, à convaincre ses auditeurs.
Tout en plaçant les aspects formels impliqués dans son processus de composition au tout premier plan, Xenakis a cependant également été un de ceux qui a délibérément cherché à en limiter la portée. Face à un tel constat, la question du rôle joué par les théories du compositeur dans son œuvre musicale devient particulièrement ambiguë.
Dans quelle mesure les théories présentées par Xenakis rendent-elles compte de son œuvre musicale ? Existe-t-il entre les deux positions extrêmes, à savoir la négation totale du rôle de la théorie et son assimilation intégrale à l’œuvre à laquelle elle se rattache, une position intermédiaire qu’il serait possible de préciser ?
"On s'est depuis longtemps accommodé à l'idée de considérer Iannis Xenakis comme le mathématicien parmi les compositeurs, comme le technocrate qui calcule ses partitions à l'aide de méthodes pour la plus grande part tout à fait impénétrables. Les occasions d'entendre sa musique (…) ont cependant permis au public de réaliser combien son monde sonore ne laisse aucunement l'impression de relever d'un scientisme stérile. Pourtant, le recours à la Science est tout central dans la pensée musicale et dans la technique de composition de Xenakis, et fait naître une musique qui fait souvent preuve d'une extrême qualité - l'Art par excellence" (extrait de " "Art" und "science": Musik und Denken von Iannis Xenakis " , Neue Zeitschrift für Musik, vol. 153, n°5, 1992, pp. 27-34. Traduction de Stephan Schaub).
Xenakis’s Analogique A et B, composed between 1958 and 1959, is a piece with rich compositional, technological, and theoretical implications. It was, for instance, the result of the first experiment with "granular sound synthesis" based on the composer’s "hypothesis of 2nd order sonorities". Moreover, it is one of the very first attempts to create a pure "machine-music" (prior even to the ST works), by closely following stochastic procedures. In addition to these rich theoretical premises, an important dimension of the work is also its reliance on more qualitative approaches based on musical intuition.
One particularly convincing aspect of the work is how its conceptual content is reflected into particular sound shapes and sonorities - i.e. into the perceivable sonorous dimension of the music - so that the fight, and ultimate clash, between the two apparent opposites: the strictly formalized compositional process and its more intuitive counterpart is reflected in the music itself.
Regarding the theoretical approach, the apparent gap between the incredibly vast premises and the specific, idiosyncratic compositional decisions made by Xenakis such as, for instance, his decision to superpose Analogique A and Analogique B (initially born separately) calls nonetheless for more precise scrutiny. Such aspects can however only be dealt with once a thorough understanding of all that is, or can be, formalized has been reached. The non-formalized, the intuitive, the humanistic, can only be approached once what is left out of formalization can precisely be described.
The analysis of Analogique A et B (its "mechanism", its score, its tape) suggests that there is a very important conceptual and cultural shift taking place in this music. "Analog" and "digital", continuous and discrete, are problematically but dynamically coexistent and intertwined, reflecting some of the epistemological changes happening elsewhere at the time and linking Xenakis’ musical experiment to the debates on "computable" and "non-computable" cognitive tasks. There we find evidence of the composer’s "engineering" attitude (at least at that time), as opposed to the strict "mathematical" precision which, because of a deep misunderstanding of the subtle and profound interplay between formalization and intuition taking place in his music, has all too often been associated with his name.
Dans cet exposé, nous allons analyser brièvement "Achorripsis" de Xenakis pour étudier quelles sont les relations que ce compositeur a établi entre le calcul, et plus précisément la logique formelle de son processus d'écriture musicale. Nous espérons de ne pas nous limiter à des aspects extérieurs de la composition, mais de profiter de cette analyse pour chercher à comprendre comment le compositeur utilise différents niveaux de logique dans son travail.
En février 1962 Yuji Takahashi crée l’œuvre pour piano Herma de Iannis Xenakis, une pièce qui deviendra rapidement un classique du répertoire. Dans le dernier chapitre de son ouvrage théorique " Musiques Formelles " (1963), le compositeur retrace le cheminement l’ayant mené d’une " table rase " radicale, visant à évacuer son propos de tout a priori, jusqu’à l’œuvre, dont il donne une description théorique détaillée.
Outre les difficultés inhérentes à la lecture du texte, la transition entre les réflexions théoriques de Xenakis et leur " application " à la composition musicale présente de nombreux points d’ombre. De plus, des écarts importants entre la construction théorique et la partition peuvent également être décelés.
Dans une première partie, notre présentation se concentrera sur les difficultés rencontrées lors de la mise en place d’un " modèle " informatique de l’œuvre à partir des seules données théoriques contenues dans le texte de Xenakis. Dans un second temps, les écarts entre théorie et partition seront examinés en détail et comparés aux " modèle " informatique présenté en première partie. Dans un troisième et dernier volet, les réflexions du compositeur seront réexaminées à la lumière du contexte intellectuel des années cinquante et soixante avec l’espoir de caractériser de façon plus précise la nature du passage entre la théorie et l’œuvre musicale qui en a résulté.
La notion de généralisation revient plusieurs fois dans l'œuvre de Iannis Xenakis, aussi bien comme concept théorique que comme stratégie compositionnelle : dès cribles, généralisation du concept traditionnel de gamme, aux opérations algébriques qui visent à généraliser les transformations musicales traditionnelles. Du point de vue compositionnel, une pièce peut être conçue comme une généralisation d'une œuvre précédente. C'est le cas de Nomos Alpha, qui généralise les propriétés ensemblistes de Herma, comme le compositeur le souligne dans les entretiens avec Varga, ou encore de Nomos Gamma, que Xenakis décrit dans Formalized Music comme une généralisation de Nomos Alpha. Nous discuterons quelques éléments théoriques et compositionnels qui relèvent de cette notion de généralisation en prenant comme point de départ un modèle informatique de la pièce Nomos Alpha réalisé dans l'environnement de composition assistée par ordinateur OpenMusic.
Nomos alpha est l’œuvre la plus formalisée de Xenakis. Son article " Vers une philosophie de la musique " détaille certains de ses principes. Mais plusieurs aspects n’en sont pas explicités. Par ailleurs, la pièce fait appel à de nombreux écarts –erreurs ou écarts volontaires. Enfin, quelques aspects importants ne sont pas formalisés. Aussi, cette œuvre est le lieu idéal d’une interrogation pour quiconque souhaite se pencher sur les relations musique-mathématiques chez Xenakis, puisqu’elle contient à la fois une formalisation poussée, des écarts et des aspects non formalisés. A ma connaissance, il existe actuellement quatre analyses détaillées : Vandenbogaerde (1968), DeLio (1980), Vriend (1981) et Solomos (1993). Cette communication reprendra des éléments de la dernière, qui est la plus exhaustive.
L’analyse des œuvres de Xenakis pose le problème de la relation entre la théorie et la pratique. Cette relation, ambiguë, se confronte non seulement au problème des écarts, que l’on rencontre fréquemment en comparant les propos théoriques de Xenakis avec leur réalisation, mais aussi à la pratique du montage. Souvent, Xenakis reprend des extraits d’œuvres antérieures pour les intégrer au sein d’une œuvre nouvelle. Prenant acte de la dissolution du matériau dans un type de sonorité, il insère ces extraits sans tenir compte des principes théoriques sur lesquels ils reposaient. Le montage apparaît comme outil compositionnel au même titre que les théories auxquelles Xenakis se réfère : il en est le prolongement. Plutôt que de redéployer des calculs, Xenakis agence des matériaux librement choisis pour les sonorités qu’ils produisent. Cette autonomie de la pratique se vérifie à propos des principales théories dont s’inspire Xenakis : la musique stochastique, la théorie des groupes, la théorie des cribles et les parcours aléatoires.