Enjeux compositionnels et philosophiques de la théorie mathématique des catégories

Samedi 15 décembre 2007

15h - 18h
Ircam, Salle Igor Stravinsky
1, place I. Stravinsky 75004 Paris
Entrée libre dans la mesure des places disponibles

Programme de la séance commune des séminaires MaMuPhi et MaMux (PDF)

Programme

  • 15h00-16h00 : Guerino Mazzola : Les « Structures » de Boulez — un lemme de Yoneda en musique?
  • 16h15-16h45 : Ralf Krömer : Petite épistémologie du lemme de Yoneda
  • 17h00-18h00 : Discussion

Résumés

Guerino Mazzola (School of Music, University of Minnesota)

Les « Structures » de Boulez — un lemme de Yoneda en musique?

Quand je commençais à m’intéresser aux relations musique-mathématiques au début des années 1980, l’un des textes qui m’a le plus marqué par son esprit à la fois géométrique et musicalement créatif fut le fameux livre de Pierre Boulez, Penser la musique aujourd’hui. Je fus également fasciné par le deuxième volume de Musikdenken heute (1985), ce texte qui met en évidence la flèche vers la pensée mathématique, avec des réserves sur une utilisation fétichiste des formules.

Au bout de presque trente ans de recherches dans le domaine de la théorie mathématique de la musique, je propose de reprendre l’idée boulézienne de l’analyse créatrice, pour envisager une réflexion sur les méthodes compositionnelles sous l’angle des nouvelles théories et paradigmes des mathématiques modernes. Je peux, avec une grande satisfaction, mais aussi un étonnement considérable quant à la force visionnaire de Boulez, constater que son approche est loin de relever d’un « fétichisme combinatoire », comme le suggère György Ligeti dans son analyse des Structures Ia, mais que ses gestes créateurs s’insèrent de manière naturelle dans les nouvelles mathématiques qui désormais dominent les champs les plus novateurs tels que la géométrie v algébrique « parisienne » d’Alexander Grothendieck, la logique fonctorielle de Charles Ehresmann et Bill Lawvere, ou les fondations théoriques de l’informatique proposées par Dana Scott. Toutes ces théories sont en quelque sorte reliées au lemme de Yoneda, un résultat qui fut énoncé pour la première fois en 1954, dans la Gare du Nord, par le mathématicien et informaticien japonais Nobuo Yoneda, avant son départ pour le Japon, à Saunders Mac Lane, un des pères de la moderne théorie mathématique des catégories.

Ma fascination pour les idées innovantes de Boulez se concrétisa lors d’une analyse des Structures pour deux pianos que je fis au cours d’un séminaire de musicologie à l’Université de Minnesota. La description par Ligeti des stratégies compositionnelles dans les Structures Ia sont ce qu’on appelle des instances de points de Grothendieck. Ce dernier avait réussi à redéfinir le concept de « point » d’une manière révolutionnaire : un point devient une flèche, une généralisation puissante du concept classique de la fonction. Si l’on réinterprète les constructions bouléziennes à la lumière de ces constructions mathématiques, il s’avère que tout ce qui a paru à Ligeti issu d’un fétichisme combinatoire est, dans l’esprit de ces mathématiciens, révolutionnaire. Si l’on tient compte de la simultanéité de ces innovations en musique et mathématiques, ce qu’on appelle Zeitgeist semble se produire une fois de plus. Ce mouvement novateur se confirme dans mon analyse des Structures II, réalisée en collaboration avec Catherine Losada, musicologue de l’Université de Cincinnati, USA. La technique de la multiplication d’accords - décrite déjà dans Penser la musique aujourd’hui - a été étudiée avec cette perspective d’une généralisation conceptuelle, et, de nouveau, s’avère parfaitement en accord avec les concepts avancés de la théorie mathématique de la musique.pour ces opérations et que j’appellerai « algèbre de Boulez ».

En utilisant les méthodes et résultats de cette analyse mathématique créatrice, nous passerons à la « création analytique », c’est-à-dire une composition musicale assistée par ordinateur, grâce à la nouvelle implémentation d’opérations géométriques dans le module « BigBang » du logiciel Rubato. À titre d’exemple, et comme trace sonore de nos réflexions, nous en déduirons une recomposition de la pièce « Structures Ia » pour douze voix.

Ralf Krömer (LPHS-Archives Poincaré, Université Nancy 2)

Petite épistémologie du lemme de Yoneda

À partir de l'approche philosophique exposée dans Tool and Object, approche qui s'inspire du pragmatisme de Peirce, et à travers l'exemple du lemme de Yoneda choisi par Guerino Mazzola, on présentera quelques réflexions philosophiques concernant l'applicabilité de la théorie des catégories en tant qu'outil de modélisation et d'analyse structurale malgré les problèmes fondationnels rencontrés.

Références bibliographiques

  • Guerino Mazzola (en collaboration avec Yun-Kang Ahn), La vérité du beau dans la musique, Collection "Musique/Sciences", éditions Delatour France / Ircam, 2007.
  • Ralf Krömer, Tool and Object. A History and Philosophy of Category Theory, Birkhäuser, 2007.
 


mamux/saisons/saison07-2007-2008/2007-12-15.txt · Dernière modification: 2011/02/12 15:53 par jean-admin