CartoMuse - Apport de la musique à la carte et réciproquement

Mardi 28 janvier 2014

9h30-17h30

Université d'Avignon
74 rue Louis Pasteur, site de Sainte-Marthe, 84000 Avignon
Entrée libre

Dans le cadre du réseau MaMux et du GDR MAGIS du CNRS, le projet CartoMuse de la Structure Fédérative de Recherche Agor@ntic de l'Université d'Avignon (associant l'UMR ESPACE, et le LIA) propose une journée de réflexion et d'échange sur la dialectique entre la musique sous toutes ses formes (sons, accords, harmonies, mélodies, bruitages, etc.) et la carte, comme mode de représentation virtuelle (paysages sonores, cartes mentales) ou réaliste (carte topographique, image, geovisualisation 3D sur internet, etc.).

Par son côté conventionnel (figurés, légendes, sémiologie graphique, échelle, etc.), la carte présente une certaine similitude avec une partition, dont l'interprète serait le lecteur de la carte. Le problème fondamental abordé dans cette journée d'étude est le passage du temporel au spatial (et réciproquement), à travers le lien entre la musique et la carte. Ce passage peut s'envisager de plusieurs manières, à des niveaux de concrétude variables: représentations spatiales de structures musicales, représentations de structures spatiales à l'aide des outils d'analyse musicale, ou encore dualité des représentations.

Peut-on engendrer des cartes présentant une sémantique et une esthétique signifiantes, voire minimales, à partir de pièces musicales ? Peut-on proposer des représentations sonores ou musicales de cartes, de manière à aider à la lecture (mal-voyants) ou à l'exploration de structures et de phénomènes géographiques complexes ? Enfin, le troisième aspect du lien entre musique et carte est celui de la synesthésie. Peut-on associer lecture cartographique et musique de manière à aider à décrypter le message d'une carte ou une image ? À l'inverse, les représentations conventionnelles visuelles peuvent-elles faciliter la compréhension de la structure d'une œuvre musicale, et enrichir l'expérience artistique ?

Du point de vue formel, l'analyse mathématique des représentations musicale fait usage de représentations spatiales et de calculs spatiaux. A l'inverse, les outils de l'analyse spatiale peuvent-il s'enrichir des approches développées dans le contexte musical ? Autant de questions, parmi d'autres, qui peuvent être posées et discutées dans ce séminaire interdisciplinaire.

Le séminaire est gratuit et en langue française. Il est libre et ouvert à tous. Vous pouvez vous inscrire jusqu'au 27 janvier auprès de Didier Josselin.

Organisation: Didier Josselin (LIA/ESPACE, Avignon), Olivier Bonin (IFSTTAR, Marne-la-Vallée), Eitan Altman (LIA/INRIA, Avignon), Jean Bresson (IRCAM UMR STMS, Paris)

Programme
  • Jean Bresson – Notions d'espace en composition musicale assistée par ordinateur
  • Jean­-Louis Giavitto – Représentations spatiales pour la musique et l'informatique
  • Louis Bigo – Représentations musicales symboliques
  • Julia Blondeau – Atlas - intervalle - montage : Esquisse d'un espace compositionnel
  • Marina Maluli César – Linearité et tabularité dans les énoncés visuels : la partition graphique
  • Morgan Prudhomme – Forms : une application pour accompagner l’apprentissage et la recherche mélodique et harmonique
  • Pierre Couprie – La cartographie dans la création et l’analyse de la musique électroacoustique
  • Lou Le Jard – L'investissement des lieux comme questionnement de la cartographie sonore
  • Roland Cahen – Naviphonie
  • Xavier Boissarie – Topophonie de l'Eau (Orbe)
  • Sébastien Thon – Visualisation de musique par génération fréquentielle de carte 3D guidée par la théorie de Airy
  • François Moriconi – Zipf ou Davis ? Ordre naturel vs harmonie du Monde
  • Eitan Altman, Olivier Bonin & Didier Josselin – Analyse spatiale, carte et musique

Programme détaillé et résumé des interventions: cartomuse-programme.pdf

Le projet CartoMuse est réalisé en partenariat avec le pôle Industries Culturelles & Patrimoines.

Résumés des interventions

Notions d'espace en composition musicale assistée par ordinateur

Jean Bresson

La recherche en composition musicale assistée par ordinateur a pour objectif de proposer aux musiciens les moyens de réaliser des modèles et programmes informatiques répondant à des démarches artistiques, principalement par le biais de langages et techniques de programmation. La notion abstraite d'espace peut alors intervenir à différents niveaux: intégration de l'espace "réel" comme matériau abstrait dans les processus compositionnels, recherches et exploration d'espaces de solutions, ou encore diffusion des sons dans l'espace. Nous illustrerons ces différents aspects au travers d'exemples dans l'environnement de composition assistée par ordinateur OpenMusic.

Représentations spatiales pour la musique et l'informatique

Jean­-Louis Giavitto

Plusieurs formalismes tentent de capturer la notion d'interaction dans un système. MGS, un langage de programmation expérimental, est fondé sur la constatation que l'ensemble des interactions possibles s'organise suivant une structure topologique qui permet de spécifier la description du système et son évolution. Le style de programmation qui en résulte, la programmation spatiale, s'appuie sur des relations topologiques (connexité, bord, obstruction…) pour renouveler la notion de structure de données et a trouvé des applications effectives dans la modélisation et la simulation en biologie des systèmes mais aussi en intelligence artificielle (représentation des connaissances et analogie) ainsi qu'en analyse musicale.

Représentations musicales symboliques

Louis Bigo

La notion d’espace symbolique est fréquemment utilisée en théorie, analyse et compo­ sition musicale. La représentation de séquences dans des espaces de hauteurs, comme le Tonnetz, permet de capturer des propriétés mélodiques et harmoniques qui échappent aux systèmes de représentation traditionnels. Nous généralisons cette approche en reformulant d’un point de vue spatial différents problèmes musicaux (reconnaissance de style, trans­ formations mélodiques et harmoniques, classification des séries tous­intervalles, etc.). Les espaces sont formalisés à l’aide de collections topologiques, une notion correspondant à la décoration d’un complexe cellulaire en topologie algébrique. Un complexe cellulaire per­ met la représentation discrète d’un espace à travers un ensemble de cellules topologiques liées les unes aux autres par des relations de voisinage spécifiques. Nous représentons des objets musicaux élémentaires (par exemple des hauteurs ou des accords) par des cellules et construisons un complexe en les organisant suivant une relation de voisinage définie par une propriété musicale. Une séquence musicale est représentée dans un complexe par une trajectoire. L’aspect de la trajectoire révèle des informations sur le style de la pièce et les stratégies de composition employées. L’application d’opérations géométriques sur les trajectoires entraîne des transformations sur la pièce musicale initiale. Les espaces et les trajectoires sont construits à l’aide du langage MGS, un langage de programmation ex­ périmental dédié au calcul spatial, qui vise à introduire la notion d’espace dans le calcul. Un outil, HexaChord, a été développé afin de faciliter l’utilisation de ces notions pour un ensemble prédéfinis d’espaces musicaux.

Atlas ­ intervalle ­ montage : Esquisse d'un espace compositionnel

Julia Blondeau

Nous présenterons dans cet exposé un environnement personnel mettant en oeuvre des espaces topologiques permettant de modéliser un certain matériau compositionnel. Nous tenterons de mettre en évidence les intérêts d'une représentationpar espacesdans des paradigmes musicaux comportant des relations n­aires et poserons le problème de la conception du temps dans ce type de structures. En para llèle à cela, nous parlerons des notions d'atlas et de montage en musique mais également en histoire de l'art à travers quelques exemples chez Aby Warburg.

Linearité et tabularité dans les énoncés visuels : la partition graphique

Marina Maluli César

À la façon d’une carte, la partition musicale peut être considérée comme une transposition en deux dimensions d’un phénomène de dimensions diverses. Dans le cas de la géographie, nous avons la réduction d’un espace tridimensionnel tandis que dans la musique nous faisons face à la linéarité caractéristique des phénomènes sonores. Alors que la linéarité est considérée comme une caractéristique de la manifestation syntagmatique du langage naturel, grâce à quoi les signes sont produits dans une séquence spatiale (écrit) ou temporelle (voie orale) continue et linéaire, la tabularité consiste en une bifurcation spatiale dans l’énoncé d’un objet sémiotique, ce qui permet une perception globale et instantanée des données et des variables. La tabularité implique l’existence d’une multiplicité d’axes perceptifs. Le terme tabularité, issue de la rhétorique de la poésie développée par le Groupe μ, peut être considéré comme caractéristique de certains types d’énoncés. On peut définir la lecture tabulaire comme celle pour laquelle un élément de l’énoncé acquiert du sens grâce à la relation qu’il établit avec d’autres éléments sur au moins deux axes linéaires distincts. Dans l’oeuvre Folio and Four Systems le compositeur Earle Brown identifie cette possibilité de lecture en explorant son sens interprétatif et en déclarant que la composition peut être exécutée dans toutes les directions à partir d’un point quelconque de l’espace. En outre, l’auteur poursuit en expliquant le fait que la performance devrait être directement liée à cette « implication graphique » de la partition et que le nombre d’interprètes doit correspondre aux différents axes exposés dans les trois dimensions de la figure. Notre objectif avec le présent travail est de proposer l’analyse des partitions graphiques et de leurs multiples possibilités d’interprétation en les considérant comme un système mathématique non­linéaire, ce qui prend pour base leur aspect tabulaire. À partir de cette proposition, nous pouvons envisager des solutions qui prennent comme critère leurs aspects énonciatifs et rhétoriques afin de comprendre le pouvoir expressif présent dans la lecture de la partition ainsi que dans son écriture.

Forms : une application pour accompagner l’apprentissage et la recherche mélodique et harmonique

Morgan Prudhomme

En tant qu’étudiant en design, je me suis intéressé à la notion d’outil de composition musicale. Mes recherches portent sur l’émergence du système de notation musicale Occidental, sur le processus de composition et différents exemples d’assistants de composition. En me basant sur les éléments de la théorie de l’harmonie occidentale, j’ai tenté de répertorier les choix auxquels le compositeur est confronté face à une nouvelle création. J’ai imaginé un premier prototype de jeu de cartes permettant à quiconque de créer la partition d’un petit motif musical. Ce système a ensuite été adapté dans un programme qui accompagne l’utilisateur dans la création d’un motif, en plaçant des points sur un plan. Développé par mes soins, le prototype vise à accompagner la formalisation d’une idée musicale (mélodique, harmonique), tout en expérimentant différentes représentations du paradigme hauteur­temps. Trois représentations différentes ont été développées : la première de type piano­roll (temps sur l’axe horizontal, hauteur sur l’axe vertical), la deuxième de type horloge (une aiguille, hauteur par rapport au centre), la troisième baptisée sonar (lecture du centre vers l’extérieur, hauteur selon l’angle). Le programme propose d’afficher (ou non) le nom ou le degré de chaque note, les valeurs d’intervalles, et un repère de hauteur ou rythmique. L’interface permet en temps réel la manipulation et l’écoute, l’observation de la forme du motif ainsi que la lecture des informations relative à sa structure harmonique, visant ainsi à enrichir l’expérience de jeu et de recherche, pour ne pas dire de composition. Imaginé pour fonctionner en stand­alone ou en plug­in (VST, AU), le projet envisage la possibilité de sauvegarder et d’uploader les motifs créés, constituant ainsi une bibliothèque alimentée par un réseau d’utilisateurs et proposant le partage des créations et des discussions autour d’elles. La navigation parmi cette bibliothèque de motifs se base à la fois sur leurs formes graphiques et sur leurs paramètres musicaux théoriques (mode, gamme, échelle, tempo, signature rythmique…).

La cartographie dans la création et l’analyse de la musique électroacoustique

Pierre Couprie

La musique électroacoustique utilise depuis longtemps la représentation comme outil de création ou d’analyse. Dans le studio, le compositeur réalise souvent des schémas ou des graphiques lui permettant de visualiser la globalité de l’œuvre. Lors de la création, la mise en espace s’appuie généralement sur une partition de diffusion, une représentation ou une liste des moments clés de l’œuvre et des figures d’espaces qui leur sont associés. Le musicien live utilise des interfaces tactiles représentant un ensemble de paramètres sous la forme de zones interactives à deux ou trois dimensions. De même, les musicologues ont développé différents types de représentations musicales permettant de réduire l’œuvre ou une partie d’elle­même afin de manipuler plus facilement des paramètres musicaux ou mettre en évidence certaines de ses caractéristiques (structure, similarités, génétique, etc.).

Il s’avère qu’une partie de ces représentations peuvent être apparentées à des cartes ou des cartographies. En effet, elles représentent une simplification d’un processus musical local ou global afin d’en faciliter sa manipulation lors d’un processus créatif ou son analyse lors de son étude. Certaines représentations contiennent aussi de véritables cartes géographiques comme dans le cas des soundwalk ou des installations sonores. L’artiste et le musicologue choisissent les paramètres à représenter, les manières de les représenter et l’environnement qui les contient en fonction du projet musical ou de l’objectif analytique. Une des caractéristiques majeures de ces représentations est la prise en compte ou non de la dimension temporelle. Celle­ci apparaît généralement dans un des trois axes de la représentation : en x ou en y dans des représentations dites temporelles ou en z dans des représentations animées. Cette troisième dimension permet de représenter le temps localement sur des zones de la carte ou globalement en faisant correspondre entre elles les propriétés temporelles de chaque objet. Certaines représentations utilisent aussi des graphiques hors temps afin de mettre l’accent sur des similitudes ou des groupements particuliers de paramètres ou de sons. La représentation du temps s’avère donc bien plus complexe qu’elle n’y parait au premier abord.

Durant la présentation, nous fonderons notre réflexion sur des exemples concrets issus de logiciels de création, d’interfaces interactives ou de modèles analytiques afin de faire émerger le concept de cartographie dans la création et l’analyse de la musique électroacoustique. Cette réflexion nous permettra de souligner le lien essentiel entre analyse et création à travers la notion de représentation.

L'investissement des lieux comme questionnement de la cartographie sonore

Lou Le Jard

Nous connaissons bien les cartes sonores qui émergent aujourd'hui, dont l’enjeu est de rendre compte de la sonorité spécifique d'un territoire. Ces cartes interrogent les aspects sonores les plus variés malgré la persistance d'un aspect attendu et normalisé (Google) de la représentation cartographique. Je souhaite aborder la question de la cartographie à partir du travail de certains artistes, qui interrogent l'utilisation d'images sonores ainsi que leur organisation au sein d'une carte.

Je me pencherais sur cette notion de la « citations des lieux » et comment celle­ci sera déplacée. Comment lier ces images sonores autrement que par leur archivage cartographique ? Comment arriver à de nouvelles formes qui tendent d'avantage vers le schéma ? Comment renouveler la forme, l'écriture cartographique sonore?

Nous croiserons au long de cette réflexion les notions de scène, de fiction, de notations, de composition et de parcours, questionnées au travers des travaux de Pierre Redon, Eric La Casa, Cédric Peyronnet, Hervé Lelardoux, Kerwin Rolland, Erik Samakh….

Naviphonie

Roland Cahen

Le projet de recherche Topophonie mené à l'ENSCI les Ateliers, l'Ircam, le LIMSI CNRS, les entreprises Orbe, Navidis et USER STUDIO porte sur la modélisation de la navigation dans les clusters audio­graphiques. Au cours du projet, nous avons développé des méthodes de représentation des sources sonores, des activateurs et des auditeurs, des outils d'édition et des démonstrateurs.

Navidium Topophonie (ou naviphonie) est un éditeur de cartographie auditive en ligne, permettant de sonifier des cartes. A partir d'un fond de carte on peut créer un ensemble de zones sonorisées et naviguer sur la carte en entendant les sons qui s'y trouvent. Cet outil a été notamment utilisé pour des activités pédagogique en cours d'histoire/géographie en collège.

http://www.navidium.com/topophonie

Topophonie de l'Eau (Orbe)

Xavier Boissarie

Topophonie de l'Eau : une application pour iphone proposant une promenade auditive interactive dans les ruisseaux, torrents, cascades et étangs virtuels du Parc de Belleville à Paris. L'application qui propose divers innovations dans la distribution et de l'activation des sons situés sera présentée par son concepteur, l'artiste Xavier Boissarie. Topophonie de l'Eau a été présenté au Festival Futur en Seine et actuellement finaliste des grands prix de l'innovation de la ville de Paris.

http://www.topophonie.fr/content/publications/11/file.jpg

Visualisation de musique par génération fréquentielle de carte 3D guidée par la théorie de Airy

Sébastien Thon

Dans le cadre d'une collaboration artistique avec Marklion1, musicien électronique, nous avons développé un programme qui produit des animations 3D réagissant en temps réel à sa musique, à l'occasion d'une de ses performances lors du festival Octobre Numérique 2013 à Arles.

Nous avons mis au point une méthode de visualisation spatiale de la musique sous la forme d'une carte 3D évoluant dynamiquement au cours du temps. Affichée au moyen de techniques 3D de modèles numériques de terrain, nous calculons les altitudes de cette carte à partir des caractéristiques fréquentielles du son en nous inspirant d'une théorie utilisée en océanographie. En effet, selon la théorie développée au XIXème siècle par le mathématicien anglais George Biddell Airy, la surface de la mer peut être décomposée en une somme de composantes sinusoïdales caractérisées par leur amplitude, leur fréquence et leur direction. Nous nous servons de cette similitude avec la décomposition fréquentielle du son pour injecter les valeurs issues d'une FFT du son dans ce modèle de surface de vagues. Ainsi, les fréquences les plus graves définissent la structure principale des vagues et les fréquences plus élevées apportent des variations plus fines à la surface.

Par ailleurs au cours de cette performance les spectateurs étaient filmés au moyen d'une caméra Kinect et leurs silhouettes numérisées étaient intégrées dans ce paysage virtuel crée par la musique électronique de Marklion. Leurs coeurs de pixels étaient animés au rythme de la musique et étaient reliés par une onde sonore figurant l'émotion commune suscitée par un concert. La vidéo était projetée sur un mur telle une fenêtre sur un monde numérique où la musique pourrait être vue.

Zipf ou Davis ? Ordre naturel vs. harmonie du Monde

François Moriconi

Dans les années 1970, K. Davis présentait son modèle d’ « équilibre des systèmes urbains ». Assez proche de la fameuse loi rang­taille de G.K. Zipf (1941), il a toutefois connu un moindre succès dans la littérature scientifique en géographie urbaine théorique et quantitative. Je me suis amusé à essayer de comprendre pourquoi, en remontant aux fondements épistémologiques des modèles que présentent les deux auteurs.

Le premier constat, est que la notion d’ « équilibre » est effectivement difficile à soutenir, étant donnée la très forte inégalité de taille qui prévaut entre les villes d’un même système urbain. Comment, néanmoins, peut­on arriver à faire passer une telle idée ? Si derrière les hypothèses de Zipf, on trouve classiquement et sans surprise des fondements « naturels » qui prévalaient dans le terrifiant contexte des années 1940, celles de Davis sont plus inattendues, car elles renvoient à la notion d’ « harmonie ». En fait, la règle implicite sur laquelle s’appuie Davis n’est autre qu’une application, à la taille des villes, des fréquences harmoniques des sons. Je ne suis pas sûr que Davis lui­même s’en soit rendu compte. Dans l’Université médiévale, la musique faisait certes partie des sciences dures, mais au XXème siècle, ce sous­bassement théorique ne faisait pas très sérieux.

Au XXIème siècle, les choses ont visiblement changé et je m’en réjouis. Prenons l’exemple du système urbain américain. En se basant sur l’échelle des fréquences harmoniques, on peut démontrer que, dans un système équilibré, si New York était un fa, Los Angeles serait un si bémol, Chicago un mi bémol. A contrario, si la population d’une ville croît trop vite, l’harmonie est rompue. Si Lyon est un fa dièse pendant que Paris est un do bécarre, il y a dissonance. La tension engendrée par le triton peut d’ailleurs faire sens. Je propose de réaménager cet article au profit de l’interprétation musicale, avec un versant plus cartographique. Et peut­être essayer d’écrire la partition de quelques systèmes, que l’on gagnerait d’ailleurs à appeler : « accords urbains ».

Analyse spatiale, carte et musique

Eitan Altman, Olivier Bonin, Didier Josselin

L'espace revêt diverses dimensions riches et complémentaires propres aux objets géographiques : fréquence (quantité d'objets similaires dans un polygone), cooccurrence (cardinalité des contacts d'objets de même type), scalarité (présence de mêmes structures à différents niveaux d'échelle), autocorrélation spatiale (relation entre la distance séparant les objets et leur ressemblance), etc. Ces dimensions nous renseignent sur l'organisation non isotrope des espaces géographiques. Elles peuvent par exemple être modélisées et analysées sous forme de graphes étudiés localement sur une carte (via une fenêtre ou une sélection locale). L'association dynamique entre ces formes observées sur la carte et leurs signatures statistiques et sonores fonctionne dans deux directions. D'une part, l'apprentissage de patterns spatiaux (structures observées de façon récurrente dans la carte) renvoie à des régularités sonores voire musicales, permettant ainsi de mieux appréhender l'organisation de l'espace géographique. D'autre part, l'exploration de la carte génère un substrat musical sur lequel le compositeur ou l'improvisateur peut s'appuyer pour créer ou faire évoluer une oeuvre dont le squelette repose au départ sur la carte physique. Un automate d'apprentissage, basé sur un oracle et explorant des images pixelisées, est présenté pour illustrer cette démarche.

 


mamux/saisons/saison13-2013-2014/2014-01-28.txt · Dernière modification: 2014/01/28 11:16 par jean-admin