Mathématiques et musiques du Monde Arabe
Vendredi 5 décembre 2014
14h30
IRCAM - Salle Stravinsky
1, place Igor Stravinsky 75004 Paris
Entrée libre
Avec la participation de Ahmed Djebbar (Université de Lille), François Nicolas (ENS Ulm, compositeur), Florence Baschet (compositrice www.florencebaschet.com/)
Programme
- 14h30-15h15 : Ahmed Djebbar - Musique et mathématiques en pays d'Islam (IXe-XVIIe siècles)
- 15h15-16h00 : François Nicolas - Comment, à Bagdad (IXe-XIIe siècles), la pensée algébrique s’est progressivement émancipée de son berceau langagier (arabe)
- 16h00-16h45 : Florence Baschet - L'écriture vocale en langue persane dans "La Muette" de Florence Baschet
Résumé des interventions
Musique et mathématiques en pays d'Islam (IXe-XVIIe siècles)
Ahmed Djebbar
Après une présentation rapide des différents "thèmes" qui entrent dans la définition de la musique donnée par les bibliographes arabes, puis des différents auteurs qui ont contribué, par leur écrits, à développer les aspects théoriques de la musique en pays d'Islam, j'évoquerai les "outils" mathématiques qui sont à l’œuvre dans la tradition musicale et métrique arabes.
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Comment, à Bagdad (IXe-XIIe siècles), la pensée algébrique s’est progressivement émancipée de son berceau langagier (arabe)
François Nicolas
Dès le départ, l’algèbre s’affirme comme nouveau continent mathématique, dialectisant les antiques continents arithmétique (qui calcule ses propositions à la lettre-chiffre) et géométrique (qui démontre ses propositions axiomatiquement), sans se contenter donc de fournir à l’État abbâsside de nouvelles techniques de gestion en matière de cadastres, d’héritages, d’impôts, de navigations, de géolocalisations, etc. En imbriquant d’une nouvelle manière calculs (arithmétiques) et démonstrations (géométriques), l’algèbre va établir un pont entre les deux antiques continents mathématiques, radicalement disjoints depuis que les Grecs ont découvert – crise des irrationnels - la scission radicale des quantités (nombres arithmétiques d’un côté, grandeurs géométriques de l’autre).
Schématiquement, voir le développement parallèle d’une arithmétisation de l’algèbre (d’Al-Karajî à Al-Samaw’al) et d’une géométrisation de l’algèbre (d’Abû Kâmil à Al-Khayyâmî)
Pour devenir ce nouveau continent contribuant à l’unification générale des mathématiques, l’algèbre va s’émanciper de son fonctionnement langagier primitif et se doter d’un mode propre de rationalité, fondé sur l’univocité d’un calcul à la lettre (« calcul de la poussière ») qui ne dépende plus de l’équivocité propre à la langue commune.
Cette nécessité d’univocité non langagière est pour l’algèbre d’autant plus vive que son berceau langagier (la langue arabe du IX° siècle, étendue grâce aux adjonctions produites au VIII° siècle par al-Khâlil puis Sîbawayhi) s’avère, à différents titres, cultiver l’équivoque dialectique : mots à double sens nommant l’unité de contraires plutôt que leur division (les ‘ aDdâd), affirmation de la singularité par contraposition exceptionnelle sur fond de néant (« lâ… ‘ illâ… » : « nul… sauf… »), distinction grammaticale des types de mots (« nomsverbes-particules ») par leurs interrelations syntaxiques formelles plutôt que par leurs fonctions sémantiques, rhétorique « sémitique » cultivant la symétrie circulaire plutôt que la linéarité irréversible de la rhétorique grecque, etc.
L’algèbre va progressivement (IX°-XII° siècles) s’émanciper de cette discursivité linguale de différentes manières :
- en étendant le monde mathématique par adjonction immanente : voir l’invention par al-Khawârizmî de nouveaux mots, de nouvelles nominations et d’un nouveau type discursif d’énoncés (relevant de la linéarité déductive) ;
- en bricolant sa propre écriture (au gré de lettres s’émancipant des chiffres) apte à mettre en oeuvre son nouveau mode de calcul (calcul « aveugle » sur l’inconnu) ;
- en dialectisant ce calcul de type nouveau à des démonstrations également de type nouveau : voir le bricolage de démonstrations algébriques circulant entre arithmétique et géométrie et violant ainsi allègrement le vieux dogme aristotélicien : « On ne peut, dans la démonstration, passer d’un genre à un autre : on ne peut pas, par exemple, prouver une proposition géométrique par l’arithmétique. ») en sorte de mettre au jour une figure proprement algébrique de la rationalité mathématique.
Cet exposé ne se voudrait pas de vaine érudition : il avancera des hypothèses de travail plutôt qu’il ne communiquera de savants résultats. Cet exposé s’inscrit en effet dans un vaste programme de travail, celui d’une intellectualité musicale se souciant de faire entrer la grande langue arabe littéraire dans la musique contemporaine 9 en sorte d’adjoindre des hétérophonies (tant linguales que musicales) aptes, sous le nom général de terza pratica, à étendre le monde-Musique.
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L'écriture vocale en langue persane dans "La Muette" de Florence Baschet
Florence Baschet
J'évoquerai le travail compositionnel de l'écriture pour voix en langue persane dans 'La Muette', le rapport entre le matériau phonétique de la langue et le matériau compositionnel de la pièce, l'écriture de la prononciation. Livret : d'après le texte 'La muette' de C.Djavann, éditions Flammarion 2008, une jeune iranienne de 15 ans nommée Fatemeh, est en prison. En attendant le jour de sa condamnation à mort, elle écrit l'histoire de sa tante sur un petit cahier, "pour que quelqu'un se souvienne de la Muette et de moi ».
Début de la pièce (captation vidéo du concert): http://www.florencebaschet.com/site/P5-videos12.html
- La Muette pour voix, instruments et électronique, d’après La muette de Chahdortt Djavann.
- Création de l’oeuvre le 9 février 2012, Paris, Ircam, Espace de projection`
- Donatienne Michel-Dansac (voix)
- Ensemble TM+. Laurent Cuniot (direction)
- Réalisation informatique musicale Ircam : Serge Lemouton
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