Groupe de travail "Mathématiques/Musique & Cognition"

AFIM - Association Française d’Informatique Musicale

Description des enjeux et des objectifs du groupe de travail

L’étude des relations entre mathématique et musique est un domaine de recherche qui a connu depuis une dizaine d’années des développements tout à fait remarquables. La prolifération des colloques, séminaires d’études, ainsi que le nombre important d’ouvrages sur le sujet, y compris la création de la première revue à comité de lecture consacrée à la recherche "mathémusicale" [1], témoignent d’un intérêt croissant pour ce sujet de la part des deux communautés, celle des mathématiciens et informaticiens d’un côté et celle des musicologues et musiciens de l’autre. Ce nouveau champ de recherche, dont l’informatique a été le catalyseur principal, a accompagné et parfois accéléré la transformation de la musicologie en une discipline systématique, avec une accentuation progressive de sa composante formelle, donnant ainsi naissance à un nouveau champ d’études : la "musicologie computationnelle".

Cependant, dans cette orientation computationnelle qui caractérise la recherche musicologique assistée par ordinateur, une scission s’est produite avec d’autres démarches systématiques, en particulier celles plus orientées vers la cognition et la perception musicales [2]. Le but de ce projet est de renouer le dialogue entre "musicologie computationnelle" et "musicologie cognitive" à partir des enjeux théoriques posés par la recherche "mathémusicale" et du rôle central joué par l’informatique dans le processus de modélisation.

Nous allons concentrer notre réflexion sur deux paradigmes analytiques majeurs en musicologie computationnelle : les approches "set-théoriques" d’un côté (à partir de la Set Theory d’Allen Forte [3] jusqu’à la théorie transformationnelle de David Lewin et Henri Klumpenhouwer [4]), et les théories génératives et grammaticales de la musique (en particulier la théorie générative de Fred Lerdahl et Ray Jackendoff [5]). D’un point de vue mathématique, ces deux approches analytiques, qui peuvent être formalisées de façon extrêmement élégante à l’aide des méthodes algébriques telles la théorie des groupes et les grammaires formelles, soulèvent des questions qui constitueront le point de départ de notre réflexion, à savoir :

  1. Quels sont les rapports entre ces approches analytiques, les théories mathématiques sous-jacentes et les langages de programmation pour l’analyse et la composition musicales assistées par ordinateur ? Quel est le rapport entre le calcul algébrique et le calcul en informatique ?
  2. Quelle place pourrait occuper une recherche "mathémusicale" dans l’espace des disciplines qui constituent les sciences cognitives ? Quels modèles cognitifs s’adaptent le mieux pour rendre compte de l’approche algébrique en musique ?
  3. Quelles études comportementales relevant de la psychoacoustique et de psychologie cognitive pourraient permettre de tester la "perceptibilité" des modèles algébriques et des grammaires artificielles en analyse et composition musicale ? Peut-on envisager d’étudier le problème des émotions en musique contemporaine à partir de la théorie des groupes et des grammaires formelles ?

Ces trois questions demandent tout d’abord que l’on puisse identifier les difficultés qui sont propres à chaque discipline afin de pouvoir bâtir un véritable dialogue multidisciplinaire. Ce projet s’inscrit dans une collaboration déjà bien établie entre des mathématiciens et des informaticiens, en particulier des chercheurs travaillant activement dans le domaine de l’informatique musicale. OpenMusic, un langage de programmation fonctionnelle et visuelle conçu par l’Equipe Représentations Musicales de l’Ircam [6], est à présent l’un des environnements informatiques qui se prête le mieux à l’implémentation des théories mathématiques pour l’analyse musicale assistée par ordinateur. Beaucoup plus délicat et difficile est, a priori, le dialogue avec les sciences cognitives et les neurosciences.

Une analyse des rapports entre recherche musicale et sciences cognitive montre que la musique est le seul art qui constitue un objet d’étude en soi en neurosciences cognitives [7]. Dans ce champ de recherche, il y a, à présent, très peu d’études sur les approches mathématiques de la musique et l’activité cognitive [8]. Nous pensons qu’en s’appuyant sur la modélisation informatique des structures musicales, il est possible de mettre en évidence un certain nombre de problèmes qui pourraient constituer des bons candidats pour l’étude des retombés cognitives et perceptives des méthodes algébriques. Dans l’approche algébrique il y a, par exemple, une articulation permanente entre le processus de formalisation des structures musicales et le choix des possibles représentations géométriques [9]. À partir de cette articulation opératoire entre formalisation algébrique et représentation géométrique nous envisagerons le problème de la pertinence perceptive des transformations algébriques en musique, en analysant les modalités de généralisation au répertoire non-tonal des techniques existantes pour la perception des structures tonales [10]. L’idée de symétrie est intimement liée à la structure mathématique de groupe, si bien qu’étudier la perceptibilité de la notion de symétrie et d’invariance en musique revient à étudier les effets cognitifs de l’action d’un groupe de transformation sur une structure musicale donnée [11]. L’aboutissement ultime pourrait être la mise en place d’un protocole de recherche étudiant les processus cognitifs ainsi que les corrélats neuronaux de la notion de représentation géométrique des structures musicales. Ce problème touche ainsi le concept même d’espace musical dont nous proposons d’étudier les rapports avec les neurosciences en s’appuyant sur les recherches les plus récentes autour de la réalité virtuelle [12].

Curieusement, depuis les années quatre-vingt, très peu de recherches ont été menées pour analyser les retombées cognitives et perceptives de l’application des modèles algébriques en musique [13]. De même, les tentatives d’appliquer la théorie des grammaires génératives pour l’analyse des musiques qui ne sont pas basées sur la notion de tonalité (musique sérielle, musique atonale, etc.), sont restées programmatiques [14].

Les participants à ce groupe de travail partagent la conviction profonde que le manque d’intérêt de la part de la psychologie expérimentale, des sciences cognitives et des neurosciences pour les approches mathématiques en analyse et composition musicales relève d’une difficulté dans le dialogue multidisciplinaire. Force est de constater que la communauté des "musicologues computationnels" et celle des "musicologues cognitifs" n’ont jamais véritablement essayé de réfléchir aux enjeux communs de leur activité de recherche. Notre projet contribue à créer un dialogue multidisciplinaire entre ces deux orientations majeures de la musicologique systématique d’aujourd’hui en s’appuyant sur une collaboration nouvelle entre la recherche "mathémusicale", l’informatique et les neurosciences cognitives.

Notes
  • [1] Journal of Mathematics and Music. Mathematical and Computational Approaches to Music Theory, Analysis, Composition and Performance (Taylor & Francis, 2007). Voir à l’adresse : http://www.tandf.co.uk/journal
  • [2] Ce n’est donc pas surprenant de constater que l’un des textes de référence sur la " musicologie cognitive ", (Leman, 1997), ne fait aucune référence aux approches computationnelles en analyse musicale alliant les modèles formels issus des mathématiques et la musique.
  • [3] Forte (1977).
  • [4] Lewin (1987, 1990).
  • [5] Lerdahl et Jackendoff (1983).
  • [6] Agon et al. (1999).
  • [7] Peretz et Zatorre (2003).
  • [8] Les rares tentatives dans cette direction sont issues des constructions formelles proposées par des théoriciens de la musique travaillant sur les méthodes mathématiques en analyse musicale. Voir Lewin (1986).
  • [9] Chemillier (1990) et Andreatta (2003).
  • [10] Voir, en particulier, Pineau et Tillmann (2001).
  • [11] Il s’agit d’une question qui touche directement aux questions philosophiques et esthétiques du rapport mathématique/musique. Voir, par exemple, Amiot (1991) et Hautbois (2006).
  • [12] Viaud-Delmon (2006).
  • [13] Voir, par exemple, Balzano (1982) et Lewin (1986).
  • [14] Voir Lerdahl (1989). Plus récemment (Lerdahl, 2001), l’auteur semble ouvrir des perspectives nouvelles allant bien au-delà du cadre traditionnel de la musique tonale, mais les outils théoriques proposés n’ont jamais fait l’objet d’études perceptives systématiques.

Bibliographie de base

  • Agon C., Assayag G., Laurson, M. et Rueda, C. (1999), "Computer Assisted Composition at Ircam : PatchWork & OpenMusic", Computer Music Journal, 23(5).
  • Amiot, E. (1991), "Pour en finir avec le Désir : la notion de symétrie en Analyse Musicale", Revue d'Analyse Musicale, N° 22.
  • Andreatta M. (2003), Méthodes algébriques en musique et musicologie du XXe siècle : aspects théoriques, analytiques et compositionnels, thèse de doctorat, EHESS/Ircam.
  • Balzano G. (1982), "The Pitch Set as a Level of Description for Studying Musical Pitch Perception", in Music, Mind, and Brain , Manfred Clynes, ed., Plenum Press.
  • Bamberger J. et DiSessa A. (2004), "Music as embodied mathematics: A study of a mutually informing affinity", International Journal of Computers for Mathematical Learning, 8, 123-160.
  • Chemillier M. (1990), Structure et méthode algébriques en informatique musicale, thèse, Université Paris 7, LITP.
  • Chouvel J.-M. (2006), Analyse musicale. Sémiologie et cognition des formes temporelles, Collection "Art&Sciences de l’Art", L’Harmattan.
  • Forte A. (1977), The Structure of Atonal Music, Yale University Press.
  • Jedrzejewski F. (2006), Mathematical Theory of Music, Collection "Musique/Sciences", Ircam/Delatour France.
  • Pineau M. et Tillmann B. (2001), Percevoir la musique : une activité cognitive, L’Harmattan.
  • Hautbois, X. (2006), L’unité de l’œuvre musicale : recherche d’une esthétique comparée avec les sciences physiques, Collection "Art&Sciences de l’Art", L’Harmattan.
  • Leman M. (1997), Music, Gestalt and Computing. Studies in Cognitive and Systematic Musicology, Springer.
  • Lerdahl F. (1989), "Structure de prolongation dans l’atonalité", in La musique et les sciences cognitives, S. McAdams et I. Deliège (éd.), Mardaga.
  • Lerdahl, F. (2001), Tonal Pitch Space, Oxford University Press.
  • Lerdahl F. et Jackendoff, R. (1983), A Generative Theory of Tonal Music, MIT Press.
  • Lewin D. (1986), "Music Theory, Phenomenology and Modes of Perception", Music Perception, 3(4), 327-392.
  • Lewin D. (1987), Generalized Musical Intervals and Transformations, Yale University Press.
  • Lewin D. (1990), "Klumpenhouwer Networks and Some Isographies That Involve Them", Music Theory Spectrum, 12(1), 83-120.
  • Peretz I. et Zatorre R. J. (2003), The cognitive neuroscience of music, Oxford University Press.
  • Tillmann, B., Madurell, F., Lalitte, P. & Bigand, E. (2005), Apprendre la musique : Perspectives sur l’apprentissage implicite de la musique et implications pédagogiques, Revue Française de Pédagogie, 152, 63-77.
  • Viaud-Delmon I. (2006), Réalité virtuelle, integration multi-sensorielle & espace : de l’outil expérimental au paradigme scientifique, mémoire d’habilitation à diriger des recherche, Université de Paris VI.

Organisation

  • Coordinateur du projet: Moreno ANDREATTA
  • Organisme responsable du groupe de travail : IRCAM/CNRS UMR 9912 (STMS)
  • Etablissement dont relève le responsable scientifique : CNRS
  • Directeur du laboratoire : Hugues VINET
  • Secrétaire : Didier PERINI
  • Adresse complète : IRCAM/CNRS UMR 9912 Sciences et Technologies de la musique et du son, 1 place I. Stravinsky – 75004 Paris
  • Téléphone : 01 44 78 16 49 Télécopie : 01 44 78 15 40
  • Adresse électronique : Moreno.Andreatta@ircam.fr

Liste des participants au projet

Nom Prénom Discipline et laboratoire éventuel de rattachement
AGON Carlos Docteur en informatique habilité, chargé de recherche et développement à l’Ircam
AMIOT Emmanuel Mathématicien, Professeur en CPGE, Perpignan
ANDREATTA Moreno Musicologue et chercheur CNRS à l’Ircam
ASSAYAG Gérard Informaticien, responsable de l’Equipe Représentations Musicales de l’Ircam
BIGAND Emmanuel Professeur de Psychologie cognitive et Directeur du LEAD/CNRS UMR 5022, Dijon
BRESSON Jean Docteur en informatique, chargé de développement à l’Ircam
CHEMILLIER Marc Maître de conférences habilité en informatique et membre du GREYC, Université de Caen
CHOUVEL Jean-Marc Musicologue, membre du CRLM, Université de Paris IV
HAUTBOIS Xavier Ingénieur, Maître de conférences en musicologie et membre de l’Institut d’Esthétique des Arts Contemporains, Université de Paris I/CNRS FRE8175
JEDREZEJEWSKI Franck Mathématicien, CEA Saclay - INSTN/UESMS
LALITTE Philippe Musicologue cognitif et professeur agrégé, LEAD/CNRS UMR5022, Dijon
MOLIN Philippe Musicologue cognitif et professeur agrégé, LEAD/CNRS UMR5022, Dijon
TILLMANN Barbara Chercheur CNRS, UMR 5020, Lyon
VIAUD-DELMON Isabelle Chercheur CNRS, UMR 7593, Paris

Liste des journées d'étude et Symposia organisées dans le cadre des activités du groupe de travail

Rapport du Groupe de travail "Mathématiques/Musique et Cognition"

 


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